L’expérience scolaire favorise la pensée et la construction de la personnalité. Quelles sont les représentations de l’univers éducatif que révèlent les textes littéraires des XVIIIe et XIXe siècles ?
Du début des Lumières au XXe siècle, en France, la littérature crée des représentations de l'École, utopiques ou réalistes, fictives et autobiographiques.
Autodidaxie et utopies, se dire et dire l’École au XVIIIe siècle
Bien que Rousseau n’ait jamais fréquenté l’école, il évoque le milieu scolaire dans Émile ou de l’éducation (1762). Ce roman d’éducation peint maîtres et élèves comme Rousseau se les représente depuis son point de vue externe. Les collèges présentent alors des scènes risibles où l’on mobilise exclusivement sa mémoire pour enrichir son vocabulaire et sa rhétorique, oubliant ainsi tout discernement de l'intelligence. Les enseignants stricts, insensés, affectés et pédants corrigent à l'excès. Émile ou de l’Éducation (Livres I, II et V) fustige cette éducation sentencieuse. Rousseau entre en lutte contre les « préjugés serviles » et leur oppose « les rêveries d’un visionnaire sur l’éducation » en appelant de ses vœux des gouverneurs faisant « briller la première étincelle [du] génie des élèves ».
Alors que Rousseau imagine une École respectueuse de la Nature pour élever chaque disciple à l’état d’Homme puis de citoyen accompli, Rétif de La Bretonne dessine des images scolaires saisies dans la réalité de l’Hôpital Bicêtre. La description du collège janséniste par Rétif dans Monsieur Nicolas (1796-1797) adopte un caractère paradoxal, à la fois élogieux et dévalorisant. L’hôpital devient lieu de scolarité dont l’autobiographe rappelle les visions inhumaines inscrites dans la mémoire de ses lecteurs lorsqu’il note que Bicêtre fut « un hôpital, un hospice et une prison où les conditions de vie, pour les infirmes, malades, indigents, aliénés et détenus étaient particulièrement déplorables ». Dans cet espace dit curatif vivent de jeunes enfants de chœur éduqués selon les principes jansénistes. Il n’est pas complètement banal d’établir des liens entre l’hôpital et l’École, puisque selon les jansénistes l’éducation agit comme une médication pour sauver du péché originel l’enfant malade. Rétif dépeint des images scolaires fortes dont il tire le meilleur parti, afin d'examiner le cœur humain.
Avec Pierre-Jean Grosley, les scènes scolaires assiègent l’espace privé, car c’est dans la famille que germent les graines d’enseignement semés dans le cœur et l’esprit du jeune garçon d’alors : « Je suis né le 18 novembre 1718, à deux heures du soir, de Jean Grosley, un avocat, et de Louise Barolet, fille de Pierre Barolet, marchand et conseiller de l'échevinage, et d’Élisabeth Drouot, d'une ancienne famille dans le même état. […] Élevé sous les yeux d'Élisabeth Noël, mon aïeule, j’eus pour instituteur, gouverneur et précepteur, une vieille servante. […] Quoiqu'elle ne sût point lire, c'est elle qui me l'a appris ». Le parcours éducatif de l’autobiographe mêle visions scolaires et compétences domestiques. L’importance des leçons en action dont a bénéficié Grosley éclaire l’esprit du jeune garçon au point qu’il acquiert, selon Daniel Roche, le statut Des Lumières en Province. Les leçons en action que retient Grosley sont très proches du concept de transmission par la pratique, pensé par Isabelle de Charrière. Cette femme de Lettres éduque selon les bienfaits de l’expérience. S’imprégnant des instructions indirectes de Fénelon, Isabelle de Charrière ébauche des scènes scolaires où la relation éducative s’édifie avant l’acquisition des savoirs, condition première et indispensable à l’existence même de toute Éducation. Le discours didactique développe de longs silences où l’élève se construit en sujet actif créant ses espaces de liberté. Les plans scolaires d’Isabelle de Charrière présentent toujours un mentor respectueux de son élève, dont l’âme jamais ne remplace celle du disciple. Forts de ce respect, les récits de voyages imaginaires, proches des premières robinsonnades, engendrent des rêves d’éducation collective. D’ailleurs, le voyage se fait éducation d’initiation. Des cérémonies initiatiques valorisent la dimension subjective de chaque élève, destiné à devenir membre de la société humaine. Les utopies éducatives du XVIIIe siècle fondent l’imaginaire de l’École et les scènes d’apprentissage animent des élèves heureux.