Le Vicaire Savoyard de Rousseau
La Figure du maître spirituel dans
‘La Profession de foi du Vicaire Savoyard’,
in Émile ou de l’Éducation, Jean-Jacques Rousseau, 1762.
En ce XXIè siècle pour lequel, en visionnaire, André Malraux, a imaginé un possible événement spirituel à l'échelle planétaire, expliquant alors que notre humanité aurait besoin de trouver un modèle exemplaire d’homme, un type exemplaire de l'homme, il semble pertinent d'interroger le siècle des Lumières et son rapport aux religions. Avec la figure spirituelle du Vicaire savoyard, Jean-Jacques Rousseau lègue un portrait digne d'intérêt pour nourrir notre réflexion citoyenne sur les influences religieuses.
Notre réflexion se décline en trois temps : premièrement présentation de la figure spirituelle, deuxièmement le maître spirituel VU PAR son disciple, troisièmement le maître spirituel, les hommes, la nature et dieu.
Propos introductif
Avant Platon, personne ne s'est vraiment intéressé à l’éducation des enfants ou même des adultes. Ce n’est donc qu’à partir du IVe siècle avant Jésus-Christ, que l'éducation devient une activité spécifique à part entière, une éducation qui tisse un ensemble de principes à partir desquels la société veut transmettre aux nouvelles générations ses savoirs, mais aussi et surtout ses concepts moraux, ses croyances et DONC ses théories religieuses. Bien qu'à l'origine cette transmission s’effectuait par les usages et les coutumes, disons par tradition collective, l'éducation platonicienne introduit de manière pionnière ET NOVATRICE une première initiation de l’élève, homme en devenir, à se découvrir lui-même, bref, à aller à la découverte de son intériorité.
Cette démarche éducative a le projet de convertir l’élève, le disciple, à la culture du bien. Ainsi, Platon veut conduire son élève à une valeur morale, supérieure, suprême, grâce à une rigoureuse discipline extérieure « en quête d'un bien idéal ». À la suite de Platon, Saint-Augustin, auteur des Confessions (397 et 398), définit l'acte d'enseigner comme une conversion interne favorisant l'éveil de l’élève aux vérités profondes. Pour St-Augustin « Dieu seul a une chaire dans les cieux qui enseigne la vérité au-dedans». Donc Saint-Augustin reconnaît Dieu comme l’unique maître des hommes, l’unique enseignant, l’unique professeur des hommes et invite l’élève à développer sa vie spirituelle. Cette même idée, l’idée d’une éducation spirituelle, se retrouve dans « La Profession de foi du Vicaire Savoyard » à la quatrième partie de l’ouvrage Émile ou de l’Éducation (1762). Émile, ce jeune garçon, élève imaginé par JJR, a alors atteint l'âge de l'adolescence ce qui lui permet de recevoir une formation morale et religieuse. Pour JJR ce choix de l’âge adolescent est très important, il l’explique dans sa lettre à Christophe de Beaumont, initiateur de la censure contre son ouvrage d'éducation : « Toute la différence […] entre vous et moi est que vous prétendez que les enfants ont à sept ans cette capacité [de reconnaître la divinité] et que je ne la leur accorde même pas à quinze. Que j'aie tort ou raison, il ne s'agit pas ici d'un article de foi, mais d'une simple observation d'histoire naturelle ». JJR expose le principe de son éducation négative qui recommande un respect absolu de l'enfance selon le rythme de la nature. Cela explique pourquoi l'éducation religieuse d’Émile est repoussée à la période où l’élève a développé la maturité nécessaire à appréhender des notions abstraites, comme Dieu ou l’âme. Émile, le jeune orphelin, élève de JJR bénéficie d'une éducation spirituelle avec le morceau de chapitre la « Profession de foi du Vicaire Savoyard ». Ce passage répond aux questions fondamentales posées par l'existence humaine. Décroché de l’œuvre, c’est une mise en abyme où le maître spirituel de l’enseignant d’Émile reprend vie dans une narration enchâssée. Le professeur d’Émile raconte comment, tandis qu'il était « malheureux fugitif », le Vicaire Savoyard lui a ouvert le cœur à la perception du divin. Je propose alors de cerner avec cette figure spirituelle du Vicaire Savoyard, un maître capable de dessiner le chemin de la vérité. Ensuite, je vous montrerai comment ce maître spirituel, Vicaire Savoyard, apparaît dans le regard de son disciple, le gouverneur d’Émile. Puis j’analyserai les rapports de cette figure spirituelle aux hommes, à la nature et à Dieu.
Le vicaire savoyard : Une figure spirituelle
La question du maître est l’une des préoccupations des Lumières comme en témoigne la réflexion de Voltaire lorsqu'il écrit : « Comment un homme a-t-il pu devenir le maître d'un autre homme, et par quelle espèce de magie incompréhensible a-t-il pu devenir le maître de plusieurs autres hommes ? ». Cette question souligne le caractère mystérieux, énigmatique, qui auréole la figure du maître. Et, cette figure magistrale gagne en mystère lorsque son enseignement comporte un volet religieux. Et de nous demander alors : Mais quelle personne plus ou moins réelle plus ou moins idéalisée JJR nous présente-t-il sous les traits du Vicaire Savoyard ? Rousseau dresse un portrait détaillé de ce personnage qui a véritablement existé et qui a vraisemblablement contribué à sa propre éducation spirituelle. JJR garantit la vérité des faits rapportés dans ses Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778) et certifie que tout ce qu'il a écrit dans la « Profession de Foi du Vicaire Savoyard » est vrai, car il s’agit là du « résultat de ses pénibles quêtes. De même dans ses Confessions, JJR présente les personnes réelles, inspiratrices du VICAIRE savoyard, d’abord Jean-Claude Gaime, rencontré par Rousseau lors de son séjour chez Madame de Vercellis ; voilà comment il nous le décrit : « Il était jeune encore, et peu répandu, mais plein de bon sens, de probité, de lumières et l'un des plus honnêtes hommes que j'ai connus. […] Je trouvai près de lui des avantages […] qui m'ont profité toute ma vie ; les leçons de la saine morale, et les maximes de la droite raison »...