Rétif de la Bretonne et l'éducation janséniste « L’École-Hôpital »

 « Le collège janséniste dans Monsieur Nicolas (1796-1797) Rétif de La Bretonne »

Ce n’est qu’en 1745, à l’âge de onze ans, que Nicolas-Edme Rétif apprend à lire (« Après avoir appris à lire seul vers l’âge de onze ans et s’être délecté d’ouvrages pieux et de contes de la Bibliothèque bleue, il est envoyé l’année suivante à Bicêtre où son frère Thomas dirige un établissement janséniste dépendant de l’hôpital et où, pendant deux ans, il reçoit une solide formation intellectuelle, nourrie de lectures dévotes ». Le Borgne, Françoise, Rétif de La Bretonne et La Crise des genres littéraires (1767-1797), Paris, Honoré Champion, 2011, p. 332.) et étudier le latin auprès du maître Christophe Berthier (Rétif de La Bretonne, Monsieur Nicolas, édition en deux volumes établie par Pierre Testud, NRF, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, volume I, Chronologie, p. XXXI.) à Joux-la-Ville.

Une année plus tard, le 17 octobre 1746, il part pour Bicêtre et intègre l’école des enfants de chœur de l’hôpital, sous l’autorité de son demi-frère Thomas. Cet établissement scolaire, situé dans une maison habilitée à recevoir les malades et blessés dont l’état de santé réclame surveillance, interventions et soins, fut créé par le janséniste Fusier, chargé d’éducation. Rétif fait maintes fois allusion à celui que son frère nomma « un honnête homme » lors de sa prime rencontre avec le clerc. Il en brosse un portrait peu flatteur dès la « Seconde Époque » qui rapporte son expérience d’enfant de chœur entre 1746 et 1747 :

Fusier entra. Qu’on se représente un gros et beau Normand, d’environ six pieds, ayant la face riante et benoîte, un honnête embonpoint, des joues vermillonnées, de grands yeux qui se fermaient à demi, de la manière la plus cafardement dévote, mangeant fort, buvant large, dormant comme un idiot, se vêtissant cossu, et parlant toujours de pénitence, de mortification. C’était un charlatan.

La peinture dévoile un tartufe aux airs de fausse dévotion. Néanmoins Rétif révise cette présentation péjorative et reconnaît en Fusier « au moins les qualités d’un excellent éducateur » car Sortie de colle ge 18 e sie clele magister janséniste « entendait fort bien l’institution de la jeunesse qu’on veut rendre solide, appliquée ». De fait, issu du diocèse de Rouen, Jean-Louis Fusier, apprit la philosophie à Paris et joignit à « l’amour de l’étude, de la retraite, de la prière […] un extérieur plein de gravité et de modestie ». C’est l’abbé Vierne, recteur de l’Hôpital général qui le nomma Maître des enfants de chœur de Bicêtre, organisation à caractère médical et social, où les jeunes garçons « étaient si bien élevés, qu’on recherchait avec empressement leurs places, quand elles devenaient vacantes ». Bien qu’éduqué par des jésuites, Fusier revendique son appartenance au jansénisme. Certes, il n’existe plus d’écoles ostensiblement jansénistes à partir de 1709, mais le jansénisme a marqué les consciences préoccupées d’éducation. Ce courant spirituel surgi dès le XVIIe siècle, exerce encore au siècle suivant une influence dans les controverses intellectuelles et politiques. Pensée très pessimiste et sévère, le jansénisme modèle la représentation que l’on se fait de l’enfant qui, même s’il reconquiert son innocence grâce au baptême, est, dit-on, impuissant, en raison de sa faiblesse originelle, à combattre le mal. Souhaitant protéger la jeunesse des assauts malfaisants, l’éducation janséniste défend la pureté enfantine contre les mauvaises inclinations. Pourtant, de ses passages à l’école de Bicêtre Rétif de La Bretonne ne peint pas le tableau d’une institution rigidifiée par une piété absolue, dictée par la lutte permanente contre l’immoralité. Au contraire, l’autobiographe raconte une existence scolaire où l’amitié adoucit le quotidien : « C’est un excellent ami ! Je l’estime plus qu’il ne croit ! Heureux quand on trouve un cœur comme le sien », écrit-il à propos de l’un de ses camarades d’alors.

Afin de suivre le parcours éducatif janséniste de Rétif, nous étudierons ses représentations de l’école de Bicêtre. Puis, nous considérerons l’évolution des élèves dans ce système scolaire, dominé par l’esprit du dispensaire. Enfin, nous déterminerons l’importance de l’univers livresque dans le collège janséniste de l’hôpital royal, lieu de soins contre toute altération de la santé.


Les ouvrages références suivantes apportent des éclaircissements sur la question du jansénisme qui parcourt la période du XVIIe au XIXe siècle. Chantin, Jean-Pierre, Le Jansénisme : entre hérésie imaginaire et résistance catholique, XVIIe-XIXe siècle, Paris, Cerf, 1996 ; Hildesheimer, Françoise, Le Jansénisme en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Publisud, 1992 ; Orcibal, Jean, Les Origines du jansénisme, cinq volumes, Paris, Vrin, 1947-1962 ; Sainte-Beuve, Charles-Augustin, Port-Royal, trois volumes, Paris, Gallimard, 1955. Histoire bien connue, l’éducation janséniste débute en 1609 avec la jeune abbesse, Angélique Arnauld, et se poursuit à l'abbaye de Port-Royal où les religieuses ont pour confesseur l'abbé de Saint Cyran acquis aux thèses de Cornelius Jansen, théologien hollandais, auteur de l'Augustinus, publié en 1640 deux ans après son décès. Aux côtés de Jansen affirmant que le salut de la créature déchue ne résulte que de la grâce, faveur gratuite et toute-puissante de Dieu, et non des mérites humains – seul un petit nombre d'hommes peut être sauvé en vertu d'une prédestination divine – Saint Cyran s'inspire de saint Augustin, dont il retire une conception de la condition humaine marquée par la chute du péché originel. Certes, le baptême restitue l’innocence perdue et rouvre le chemin céleste, mais cette voie demeure incertaine car l'innocence reste fragile comme toute santé malmenée par une lourde pathologie.

 

Date de dernière mise à jour : 07/11/2024